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The Essays of Michel de Montaigne Online
Comme nostre esprit s’empesche soy-mesmes
Book 2
Chapter 14C’est une plaisante imagination, de concevoir un esprit balancé justement entre-deux pareilles envyes. Car il est indubitable, qu’il ne prendra jamais party : d’autant que l’application & le choix porte inequalité de prix : & qui nous logeroit entre la bouteille & le jambon, avec egal appetit de boire & de manger, il n’y auroit sans doute remede, que de mourir de soif & de faim. Pour pourvoir à cet inconvenient, les Stoïciens, quand on leur demande d’où vient en nostre ame l’election de deux choses indifferentes (& qui fait que d’un grand nombre d’escus nous en prenions plustost l’un que l’autre, n’y ayant aucune raison qui nous incline à la preference) respondent, que ce mouvement de l’ame est extraordinaire & desreglé, venant en nous d’une impulsion estrangere, accidentale, & fortuite. Il se pourroit dire, ce me semble, plustost, que aucune chose ne se presente à nous, où il n’y ait quelque difference, pour legere qu’elle soit : & que ou à la veuë, ou à l’attouchement, il y a tousjours quelque choix, qui nous tente & attire, quoy que ce soit imperceptiblement. Pareillement qui presupposera une fisselle egallement forte par tout, il est impossible de toute impossibilité qu’elle rompe, car par où voulez vous que la faucée commence ? & de rompre par tout ensemble, il n’est pas en nature. Qui joindroit encore à cecy les propositions Geometriques, qui concluent par la certitude de leurs demonstrations, le contenu plus grand que le contenant, le centre aussi grand que sa circonference : & qui trouvent deux lignes s’approchans sans cesse l’une de l’autre, & ne se pouvans jamais joindre : & la pierre philosophale, & quadrature du cercle, où la raison & l’effect sont si opposites : en tireroit à l’adventure quelque argument pour secourir ce mot hardy de Pline, solum certum nihil esse certi, & homine nihil miserius aut superbius.